Aux Comores, l’oppaosition inflexible après la réélection contestée du sortant Azali

L’opposition comorienne est restée inflexible, mercredi 27 mars, au lendemain de l’annonce de la réélection du président Azali Assoumani, qu’elle juge entachée de fraudes massives, laissant augurer d’une nouvelle crise politique dans l’archipel.

Quarante-huit heures après la clôture du scrutin, le président de la Commission électorale (Ceni), Djaza Ahmed Mohamed, a proclamé mardi soir la victoire haut la main du chef de l’Etat sortant, 60 ans, crédité de 60,77 % des suffrages.

A la tête du pays de 1999 à 2006, réélu en 2016, le colonel à la retraite et ex-putschiste a écrasé ses douze rivaux. Arrivé en deuxième place, l’avocat Mahamoudou Ahamada, du parti Juwa, n’a décroché que 14,62 % des voix.

« Hold-up »

Sitôt son succès officialisé, M. Azali s’est réjoui sans retenue devant ses partisans : « C’est vrai, il y a eu des couacs mais on s’estime heureux, car ça aurait pu être plus grave, a-t-il réagi devant la presse. Le plus facile a été fait, maintenant c’est le plus difficile [qui débute], la construction du pays. Et c’est là où il y a besoin de tout le monde pour (…) aller de l’avant. »

Sa timide main tendue a été immédiatement rejetée par ses adversaires. « Pour nous, il n’y a pas eu d’élection dimanche, il y a eu un coup d’Etat », a répété Mugni Baraka Said Soilihi, classé troisième du premier tour.

« Le régime Azali a préparé son hold-up avec minutie mais c’était trop gros, les urnes bourrées ont été découvertes, a raillé le porte-parole de l’Union de l’opposition, Moustafa Saïd Cheikh. Nous espérons que la communauté internationale ne reconnaîtra pas cette mascarade. »

La société civile comorienne et les observateurs étrangers ont dressé un constat accablant du scrutin. Bureaux saccagés, urnes bourrées ou confisquées par la gendarmerie ou assesseurs de l’opposition empêchés de faire leur travail… « Les incidents observés (…) n’ont pas permis aux électeurs de sortir massivement pour exercer leur droit civique dans la sérénité », a résumé la mission de l’Union africaine (UA), du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et de la Force en attente de l’Afrique de l’Est (EASF).

L’absence du moindre représentant étranger lors de l’annonce des résultats par la Ceni a été très remarquée.

« Je n’ai jamais vu élections plus transparentes dans notre pays », a rétorqué à toutes les critiques le ministre de l’intérieur Mohamed Daoudou, dit « Kiki ».

L’opposition a exigé un nouveau scrutin et ne semble pas près d’accepter la timide main tendue par le vainqueur. Depuis des mois, elle dénonce la « dictature » du président Azali, qui a dissous la Cour constitutionnelle, modifié la Constitution dans un sens qui pourrait lui permettre de rester au pouvoir jusqu’en 2029 et fait arrêter des dizaines d’opposants.

« Tout est à craindre »

Persuadés que le chef de l’Etat est largement minoritaire, les douze candidats qui lui étaient opposés au premier tour ont promis « d’utiliser tous les moyens civils » pour défendre « le droit des Comoriens à voir leurs suffrages respectés ». Leurs moyens paraissent toutefois limités.

Lundi, une centaine de leurs partisans a été dispersée sans ménagement par les forces de l’ordre. Mardi matin, des barricades ont été dressées sur deux routes menant à la capitale Moroni, mais la situation restait calme.

Le régime a interdit jusqu’à nouvel ordre toute manifestation. « Ce n’est pas la rue qui va diriger ce pays !, s’est exclamé M. Daoudou devant l’AFP. Ils disent qu’il y a eu fraude ? Alors ils n’ont qu’à déposer des recours. »

La situation semble donc bloquée dans le petit archipel pauvre de l’océan Indien, qui a connu son lot de coups d’Etat et de crises séparatistes depuis son indépendance en 1975.

« J’espère qu’il n’y aura pas de violences dans les prochains jours mais tout est à craindre », a regretté l’ancien vice-président Ahmed Saïd Djaffar, tombé en disgrâce en 2018 et réfugié depuis en Tanzanie. « Nous sommes aujourd’hui un pays sous-développé et si, on rajoute la violence (…) à nos problèmes, on ne va pas s’en sortir », a-t-il mis en garde lors d’un entretien à l’AFP à Paris

Le pétrole, ce rêve qui pourrait attiser les tensions entre les Comores et la France

Le rêve de faire des Comores un pays pétrolier berce le président de l’archipel, Azali Assoumani, après que son prédécesseur, Ikililou Dhoinine, a été le premier à octroyer des blocs d’exploration, en 2012. Mais si une potentielle découverte pourrait changer l’économie du pays, qui pointe au 182e rang mondial en termes de PNB par habitant, elle pourrait également contribuer à tendre les relations avec la France sur la question de Mayotte.

Jusqu’à peu, l’exploration pétrolière aux Comores était conduite par de petites firmes qui n’avaient pas les moyens d’envisager seules le forage de puits d’exploration. L’entrée de la compagnie britannique Tullow Oil sur les blocs 35, 36 et 37, fin novembre, va changer la donne. Présente dans une dizaine de pays africains ainsi qu’en Amérique latine, Tullow Oil a déjà à son actif la découverte de pétrole au Ghana et en Ouganda. Elle produit près de 90 000 barils par jour et a des moyens financiers et techniques importants pour mettre en valeur le potentiel offshore des Comores.

Jusqu’à présent, seuls des indices favorables ont été recueillis, mais aucune certitude ne permet de dire que les Comores produiront un jour des hydrocarbures. La raison est simple : il n’y a jamais eu de forage au large de l’archipel. Mais si l’exploration a été freinée par la baisse violente des prix du baril à partir de 2014, les cours se sont appréciés de nouveau depuis quelques mois ; et la zone de l’offshore africain comprenant les Comores, le Mozambique et Madagascar fait désormais rêver les géologues et les hommes politiques locaux.

Gigantesques découvertes au Mozambique

Les blocs 35, 36 et 37 sont situés à proximité des gigantesques découvertes mozambicaines au large de la province de Cabo Delgado. Depuis 2010, les majors italienne ENI et américaine Anadarko ont mis au jour, sur deux petites zones, un volume de gaz similaire à celui du Nigeria, jusqu’alors premier pays africain en termes de réserves de gaz. La production commencera dès 2022 et le Mozambique sera propulsé dans le peloton de tête des plus importants producteurs de gaz liquéfié d’ici à une décennie.

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Deux ans après les premières découvertes mozambicaines, des sociétés pétrolières se sont jetées sur les Comores. L’une d’entre elles, Discover Exploration, est partenaire de Tullow Oil sur les blocs 35, 36 et 37. La société a été fondée en 2012 par un ancien cadre de Shell, Michael Blaha, qui venait de vendre pour près d’un milliard de dollars (environ 750 millions d’euros à l’époque) sa société Cove Energy, qui détenait 8,5 % d’une des deux zones riches en gaz du Mozambique. Michael Blaha a alors sauté sur l’occasion pour prendre des blocs dans une des zones d’Afrique les moins « radiographiées » par les pétroliers : les Comores.

Tullow Oil veut aller vite. La compagnie s’est engagée à mener dès 2019 une coûteuse campagne sismique 3D. Cela consiste à envoyer des ondes à partir de bateaux, en surface, qui permettent de renvoyer l’image des différentes couches géologiques sous l’eau pour localiser d’éventuels pièges à hydrocarbures. Tullow Oil ne se lancera dans un forage d’exploration que si les résultats de cette campagne sont positifs. Dans ce cas, il est fort probable qu’une major pétrolière soit appelée à la rescousse, les trois blocs ayant des profondeurs marines très importantes obligeant à envisager des puits de plusieurs dizaines de millions de dollars, sans certitude de résultat.

Une manne potentielle au large de Mayotte

L’Union des Comores a pris son indépendance de la France en 1975 après l’organisation d’un référendum sur ses quatre îles, dont Mayotte, qui avait alors choisi de rester sous souveraineté française. Depuis lors, les présidents comoriens ne cessent de répéter dans toutes les instances internationales qu’ils veulent le rattachement de Mayotte aux Comores. Des tensions régulières apparaissent, notamment en ce qui concerne les importants flux illégaux de migrants comoriens à Mayotte, que la France renvoie. En mars, Moroni a même refusé de reprendre ses citoyens arrêtés à Mayotte, arguant que le pays ne reconnaît pas la souveraineté française sur l’île voisine.

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La possible découverte de pétrole offshore risque d’attiser encore un peu plus la tension avec Paris, les Comoriens voyant leur échapper une manne potentielle au large de Mayotte. La France ne mène aucune exploration dans la zone territoriale autour de l’île, considérée par les géologues comme beaucoup moins propice à la découverte d’hydrocarbures.